Comprendre et prévenir les phénomènes de radicalisation : quelle place pour la confiance et la défiance ?

Par Pierre Winicki, président de TrustInside, intervenant au séminaire, États Religions Laïcités : les nouveaux fondamentalistes. Enjeux nationaux et internationaux, au Collège des Bernardins.

Le rapport à la confiance et à la défiance comme clé de lecture de la radicalisation

Les jeunes qui évoluent progressivement vers la radicalisation n’auraient-ils pas progressivement développé un niveau de défiance considérable (défiance en eux-mêmes, en leur entourage, en les institutions – école, police, justice, en leur pays…) ? Ainsi, la capacité à évaluer précocement le rapport à la confiance et à la défiance des jeunes et des familles « fragiles » ne permettrait-elle pas d’agir en amont, tant qu’il en est encore temps, pour mettre en œuvre des actions de terrain les mieux adaptées pour les accompagner vers un retour à une vie sociale « normalisée » ?

La validité de cette analyse a été confirmée dans le cadre d’une recherche-action menée par TrustInside sur demande de la Préfecture et par le Conseil départemental du Val-d’Oise, sur un territoire particulièrement sensible. Cette étude s’est appuyée sur une modélisation, « L’Arbre de Confiance » (Baromètre de Confiance défini par TrustInside® dans des institutions et des entreprises) qui permet « d’objectiver » les sept principaux facteurs constitutifs de la confiance. Elle a impliqué des professionnels de terrain pluridisciplinaires (assistantes sociales, éducateurs, policiers, services pénitentiaires…) ainsi que des jeunes pris en charge par la justice. Parmi la dizaine d’enjeux ayant émergé de ces travaux :

– Comment détecter le plus précocement possible, chez les jeunes, une rupture ou un traumatisme, possibles facteurs de prédisposition vers une dérive violente, en particulier la radicalisation ?

Les jeunes signalés comme radicalisés ont en effet souvent un vécu traumatique non verbalisé (violence familiale, perte d’un proche, traumatisme sexuel…). Même si tous les jeunes qui ont subi une forme ou l’autre de rupture ou de traumatisme n’évoluent pas vers la radicalisation, il semble que cette dimension constitue un facteur de prédisposition vers une dérive radicale.

– Comment organiser des lieux d’échanges entre jeunes et acteurs institutionnels de terrain pour déconstruire certaines idées reçues et co-construire des réponses aux « irritants », ressentis comme sources d’injustice sociale, ainsi qu’au sentiment de déclassement ?

Des rencontres avec les jeunes dans le cadre de ce travail de terrain, il ressort un profond sentiment d’injustice vis-à-vis des institutions. Ce sentiment d’injustice se manifeste essentiellement vis-à-vis des forces de l’ordre, mais plus globalement de tout représentant des services publics auxquels ils sont confrontés au quotidien. Les professionnels qui suivent en maison d’arrêt des détenus pour actes de terrorisme et de djihadisme, nous ont confirmé que ce sentiment d’injustice sociale revenait de manière insistante dans leurs propos, qu’il constituait un catalyseur de frustrations essentiel ayant largement contribué à leur dérive vers des actes extrêmes.

Un programme d’évaluation de la confiance/défiance devrait être expérimenté dans une première ville « sensible »

Ce plan prévoit tout d’abord de former des professionnels de terrain (travailleurs sociaux, éducateurs, policiers…) à la compréhension des facteurs générateurs de confiance ou de défiance chez les jeunes et les familles fragiles qu’ils accompagnent : confiance en soi, confiance dans les institutions, dans la société... Les professionnels seront également formés à utiliser un Baromètre de confiance (questionnaire basé sur l’Arbre de Confiance, administré sous forme d’application mobile), leur permettant de mesurer le niveau de confiance ou de défiance au cours des entretiens individuels qu’ils mènent avec les jeunes et les familles. Les résultats de ce Baromètre les aideront à décrypter chez les jeunes et les familles les premiers signes de défiance susceptibles de dériver progressivement vers une radicalisation, et ainsi d’orienter ceux qui en ont besoin vers un accompagnement personnalisé, tant qu’il en est encore temps.

Ces mêmes professionnels animeront des réunions de proximité regroupant cinq à six jeunes ou membres de familles fragiles, et un même nombre de professionnels de proximité - travailleurs sociaux, forces de l’ordre. L’enjeu étant de favoriser l’échange, la discussion, autour de problématiques spécifiques vécues comme difficiles, ou « injustes » - un conflit entre jeunes et policiers par exemple. Ceci pour favoriser le dialogue entre jeunes/familles et police/institutions et tenter d’identifier, collectivement, des pistes de progrès permettant de restaurer progressivement une confiance réciproque, au plus près du terrain.

Source : La Croix